Tant d'amours perdus au fond de nos mémoires,rangés dans un tiroir ….
C'était d'abord sa voix. Une voix qui donnait envie de s'y plonger, et
grave, et mélodieuse. Une voix qui donnait envie de fermer les yeux. J'ai aimé
cette voix avant le reste, essayant de deviner à ses intonations qui il pouvait être. Il s'exprimait avec aisance
et humour, mais avec juste assez de pudeur et de discrétion, pas de timidité,
non, en aucun cas, mais avec cette retenue et ce mystère si rares. J'aurais
voulu l'approcher, le toucher. Plus tard je croisai son regard. Brun, non pas
bleu comme il se doit. Je baissai les yeux la première fois, puis je cherchai
avidement à le rencontrer par l'oeil, par la voix. Car aucun de nos autres
sens, de proximité, ne seraitent mis en jeu.
Je l'aimerai en silence, je suis douée pour cela, me répétais-je. Pour broder,
et rêver, et imaginer.
Pour éviter le dur choc du réel. Tout cela, je tentais
de le faire mien, mais la balance penchait dangereusement. Et j'étais
terriblement attirée par lui.
La salle se vidait maintenant, il fallait d'une manière ou d'une autre lui
faire comprendre.
Ne pas rester seule avec ce trop plein. Et lui, que voyait-il quand son regard
croisait le mien ?
Rien ne me distinguait de la cinquantaine d'autres élèves qui suivaient ses
cours ...
Alors j'osai.
Audace bien petite pour quiconque d'autre que moi: m'approcher, sentir quelques secondes la chaleur de son corps, les effluves de
son parfum, le frôler, doucement, en passant. En me glissant vers la sortie.
Je le verrai chaque lundi à neuf heures. Il n'y aura rien d'autre entre nous
que cette relation de savoir. Ma main tremblera bien un peu quand j'écrirai sur
la feuille qu'il ramassera.
Mes doigts frôleront peut-être les siens quand il me rendra ma copie.
Peut-être aurais-je droit à un sourire ?
Mais il n'en saura jamais rien.
Bien des années passèrent…
Cette rencontre, cette histoire inachevée, elles les avaient déposées dans un
recoin de sa mémoire.
Il suffisait de la relecture d’un texte, pour que tout cela
resurgisse.
Son goût de la poésie elle le devait sûrement à ses yeux bruns qui chaque lundi
matin à neuf heures venaient la troubler. Elle avait trouvé le moyen de se rapprocher
de lui en étant devenue une brillante élève, il s’attardait sur ses copies, les
commentait en souriant.
Elle avait pris goût à se rendre dans les librairies, feuilleter les ouvrages
pendant des heures, perdue dans ses pensées, plongée dans son monde intérieur. Elle
était alors isolée, ne remarquant pas la présence des autres clients. Dans son
esprit des références de livres, des titres, des auteurs, des poésies. Toujours
prête à saisir tout ouvrage encore inconnu sa main se déplaçait dans les rayons.
Elle allait s’emparer d’un recueil de poèmes lorsqu’elle a heurté une main d’homme
posée sur le même livre. Tournant alors la tête pour présenter de brèves excuses
elle a tout de suite reconnu son ancien professeur. Lui-même étonné de se
trouver face à cette femme, elle, son ancienne élève. Il n’a rien oublié de ce
délicieux malaise qui lui serrait le coeur dès le dimanche soir, du trouble
qu’il ressentait chaque lundi matin lorsqu’il ouvrait la porte de cette salle
de classe. Il se souvient encore de sa présence attentive pendant les cours,
suspendue qu’elle était à son regard, buvant ses mots.
Les gestes sont restés figés, les mots n’ont pu être prononcés, les regards
étaient de braise,
elle a tout de suite remarqué qu’il ne portait plus d’alliance.
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