[...]Et au moment où, parvenus sur la terrasse,
leur regard se perdit d'un coup au-delà de la palmeraie,
dans l'horizon immense,
il sembla à Janine que le ciel entier retentissait d'une seule note éclatante et brève
dont les échos peu à peu remplirent l'espace au-dessus d'elle,
puis se turent subitement pour la laisser silencieuse devant l'étendue sans limites[...]
[...]Depuis toujours, sur la terre sèche, raclée jusqu'à l'os, de ce pays démesuré, quelques hommes cheminaient sans trêve, qui ne possédaient rien mais ne servaient personne, seigneurs misérables et libres d'un étrange royaume.
Janine ne savait pas pourquoi cette idée l'emplissait d'une tristesse si douce et si vaste qu'elle fermait les yeux.
Elle savait seulement que ce royaume, de tout temps, lui avait été promis et que jamais, pourtant, il ne serait le sien,plus jamais, sinon à ce fugitif instant, peut-être, où elle rouvrit les yeux sur le ciel soudain immobile, et ses flots de lumière figée, pendant que les voix qui montaient de la ville arabe se taisaient brusquement.
Il lui sembla que le cours du monde venait alors de s'arrêter et que personne, à partir de cet instant, ne vieillirait plus ni ne mourrait.[...]
Albert Camus, in L'exil et le royaume
La femme adultère
Folio pages 25et27
Devant tant de beauté, incorrigible rêveuse je suis !