Ce matin, dans le froid encore hivernal un rayon de soleil et cette envie pulsionnelle de revoir la mer...
N’est-ce pas la définition de la Méditerranée : une brièveté qui suggère l’infini,
comme un enfant
d’une seule image fait un monde ?
Et cette côte blanche
qui s’étire sous nos yeux ajoute à cette pureté un charme un peu trop
féminin,
une odeur de miel qui sent l’Orient…
…Quelque chose s’exhalait de ce paysage qui a pris toutes les formes dans les
yeux et dans les cœurs.
Mais qu’est-ce que ce « quelque chose » ? Je n’ose lui donner de
nom.
Est-ce après tant de siècles une voix que personne n’a entendue ?
Qu’est-ce que j’aime donc tant ce paysage et dans quelques autres qui lui
ressemblent ?
La majesté, la sérénité, l’harmonie ? Peut-être.
Mais alors pourquoi aussi
ce désir de jouissance, cette soif ? L’indifférence ?
Mais pourquoi
cette inquiétude comme une main qui s’agite
au moment du départ ?
Et pourquoi tout cela compose-t-il ma
félicité ?
Peut-être est-ce justement le poids de toutes les formes passées, le contour de
tous les désirs
éteints qui errent sur ces terrasses. Cet absolu du sentiment,
cette plénitude de vie auquel nous
croyons toucher parfois n’est sans doute que
le parfum d’un vase vide longuement caressé.
Non pas des formes, mais des
ombres.
Non pas des voix, mais des échos.
Ce qui donne ici un certain vertige
cérébral, c’est la cendre, tant de cendre accumulée et si fine
sous une lumière
impalpable.
Le puits du passé est si profond que nous avons beau nous pencher,
nous n’entendons
pas résonner la pierre que nous avons jetée et nous restons là incertains,
songeant aux étranges végétations agrippées aux parois, aux diverses fraîcheurs
des terrains,
à l’eau qui peut être au fond…que sais-je ? peut-être
attendant un appel.
Un appel peut donc surgir de choses si différentes, si
mortes irrévocablement l’une après
l’autre et se confondre en une seule voix ?
Jean Grenier, in « Inspirations méditerranéennes »
L’Imaginaire Gallimard pages 44/45/46