L'amandier en fleurs, Le Cannet
"Chaque printemps, il me force à le peindre"
Pierre Bonnard
Bonnard sait que ses heures sont comptées. Il est allé aussi loin qu'il a pu dans son regard et en revient rasséréné.
Au fond du noir, il y a toutes les couleurs de
l’Amandier en fleurs, le dernier tableau auquel il travaille.
Et c’est un cri d’amour à la vie. Un arbre pour finir et ne pas finir, un arbre
debout comme un homme. Pas n’importe quel arbre, pas n’importe quel homme.
Mais celui qui fleurit en hiver quand tout ce qui se tient autour fait le mort,
celui qui met le plus de lumière dans la ténèbre avec ses boules de fleurs
blanches, un arbre pour rappeler à l’homme que la vie ne meurt pas, mais
seulement ses apparences qui sont des masques.
C’est cet arbre-là que Pierre est allé chercher au plus profond de lui-même,
sans y penser, sans le vouloir. En le peignant […] Il n’a pas vu que les branches de l’amandier étaient noires et noueuses comme
ses propres bras, pas vu que la blancheur de ses cheveux épousait celle des
fleurs, non, il a senti monter l’arbre en lui, percer les bourgeons au bout de ses
doigts, fleurir la vie qui n’a pas de fin.
Il ne s'agit pas de peindre la vie. IL s'agit de rendre vivante la peinture.
De son lit, avant de mourir, il a appelé Charles Terrasse, son neveu, et lui a désigné l'amandier posé par terre: Ce vert, sur le terrain, là, ne va pas. Il faut du jaune. Charles lui a tendu le pinceau et tenu la main, et Pierre a renversé d'un geste sur la terre au pied de l'arbre tour l'or de sa vie...
extrait de "Elle, par
bonheur et toujours nue" Guy Goffette