Ce besoin de vous parler des "Iles", ce livre qui fut une révélation pour moi , livre que je connais par "coeur", qui est toujours à portée de mains, que j'ouvre très souvent pour en relire quelques phrases qui me donnent des raisons de réfléchir et la liberté du vent !
Mais d'autres ont su mieux le décrire que moi, en voici quelques extraits:
(...)Pourquoi, aujourd'hui, ce besoin soudain de parler des Iles, de m'en parler? Je les ai aperçues, tout à l'heure, dans ce qui me sert à présent de bibliothèque. J'ai un peu oscillé, retrouvé ma position d'antan, celle du boulevard Raspail, avec le même appel du bras. Le même désir ambigu. Pourtant, diable, à quel degré de lecture en suis-je avec ce sacré bouquin? A partir de quel moment a-t-on lu un livre? L'a-t-on écrit? En voilà un que je connais par cœur - pas question de mémoire, je serais bien incapable d'en citer correctement une ligne. Par cœur, c'est-à-dire que je sais pourquoi je l'aime, y reviens, l'emmène avec moi. Je le sais, et je voudrais bien le faire savoir. Pas facile. (…)
Tous les livres ne donnent pas envie d'écrire ces choses à leur sujet. C'est sans doute tout simplement cela que je voulais dire. Que la lecture des Iles ouvre une porte. (Camus le savait.) Une porte au clair-obscur prononcé. Une porte de l'esprit. Qui nous en fait voir de toutes les couleurs. Jean Grenier a passé le plus grand temps de sa jeunesse en Bretagne. Très sensible, il en a attrapé tous les maux. Toutes les vertus. Ce ciel bleu qui ne l'est jamais assez, ou exagérément, il a voulu en connaître l'évidence et la mesure où il se doit. En Italie. Puis l'Égypte, l'entrée dans la matière d'un passé horriblement somptueux. Mais le ciel d'Égypte, c'est le cafard blanc, ça vaut le noir breton. (…)
Les Iles sont toujours là, à ma droite, dans le courant d'air du présent. Et tout ce qu'écrit Jean Grenier, pour moi, c'est du bon à prendre. J'y retrouve toujours ma première sensation, quelque soit le propos. Je sais qu'il n'est pas dans un certain coup. Qu'il peut paraître à côté. En fait il est très isolé.
Louis Guilloux a dit un jour à un journaliste que Jean Grenier était notre Stendhal (que de noms propres)! Je ne sais pas. Ce que je sais, et fervemment, et surtout maintenant que je peux parler pour ainsi dire, dans le désert, c'est que Jean Grenier m'a rendu la vie moins difficile, grâce à ses livres, à son amitié. Que demander de plus à un homme?"
Georges Perros, "Les Iles", Papiers collés II,page 282
Collection Imaginaire 221 Gallimard,