Merveilleuse nuit sur l'Atlantique. Cette heure qui va du soleil disparu à la lune à peine naissante, de l'ouest encore lumineux à l'est déjà sombre.
Oui, j'ai beaucoup aimé la mer - cette immensité calme - ces sillages recouverts - ces routes liquides.
Pour la première fois un horizon à la mesure d'une respiration d'homme, un espace aussi grand que son audace. J'ai toujours été déchiré entre mon appétit des êtres, la vanité de l'agitation et le désir de me rendre égal à ces mers d'oubli, à ces silences démesurés qui sont comme l'enchantement de la mort.
J'ai le goût des vanités du monde, de mes semblables, des visages, mais à côté du siècle, j'ai une règle à moi qui est la mer et tout ce qui dans ce monde lui ressemble.
O douceur des nuits où toutes les étoiles oscillent et glissent au-dessus des mâts, et ce silence en moi, ce silence enfin qui me délivre de tout.
Albert Camus, in "Journaux de voyage"
Gallimard