La muse et son poète…
Le vieux battant de fer à peine clos
derrière moi qui me hâte et qui songe,
seul et non seul je vais courbant le dos,
suivant détresse, ennui, peine ou mensonge,
car tout m’est noir à peine le fer clos.
Paul Valéry
Poème extrait de la biographie de Jean Voilier, nom de plume, de Jeanne Loviton.
Elle a été le dernier et probablement le plus grand amour de Paul Valéry.
Le livre donne à lire des lettres admirables que Valéry lui a adressées jusqu’à sa mort.
Toute femme, moi la première, aurait aimé en recevoir d’aussi sublimes et aimantes.
"Je te caresse dans la tiédeur de la lumière doucement riche, je cause avec toi(voluptueuesement, intelligemment), il n'y a pas de mot qui combine les deux termes en un seul adverbe extraordinaire. Il faudrait avoir une langue à nous-(quelquefois cette idée se matérialisa et il n'y eut bien qu'une bouche et une langue). Tiens, tu me fais crayonner des bêtises. Mais songe que ce moment est le seul de cette immense journée où je vive un peu avec et pour toi."
Il lui écrivit près d'un millier de lettres et poèmes, un livre "Corona" et lui dédia la
"Cantate de Narcisse".
Coïncidence, tous deux sont décédés un 20 juillet à cinquante et un an d’intervalle,
Paul Valéry en 1945, Jean Voilier en 1996.
*Ce livre dresse le portrait d’une femme mystérieuse, femme d’affaires remarquable, femme du monde aux amours multiples.Ses admirateurs les plus célèbres furent, outre Paul Valéry, Jean Giraudoux, Saint John Perse, Curzio Malaparte,quelques hommes politiques, certains hommes d’Etat, et aussi quelques femmes remarquables et remarquées.
Portrait d’une femme dont François Mauriac disait qu’elle aura été
" le dernier personnage romanesque de ce temps"
Et pourtant tout est vrai !
*Portrait d’une femme romanesque Jean Voilier, de Célia Bertin, éditions de Fallois
L’avenir…
" L'Avenir " est la parcelle plus sensible de l'instant.
Paul Valéry
Mélange, p.307, in Oeuvre t.1, La Pléiade
photo jasmin de Tunisie
Sans toi, pensant à toi…
Sans toi, pensant à toi, quand j'ai perdu le jour
Tu me viens dans la nuit, échappée à toi-même,
Tu t'évades en moi, chère Âme de l'amour,
Ombre toute fidèle au seul songe que j'aime.
Quand l'éveil me relève, ô mon premier émoi,
Je te forme et te vois, je prends ce noble torse,
Temple où j'adore un coeur qui serait tout à moi
S'il pouvait dans le mien puiser toute sa force.
Oh...Veuille, ma Beauté, veuille ce que je veux :
Ce que je te redis en flattant tes cheveux
Par le simple retour d'une même caresse :
Nulle voix ne saurait te faire entendre mieux
Le mystère et le sens de toute ma tendresse :
Un échange sans fin des âmes de nos yeux.
Paul Valéry
Photo:
Paul Valéry et Jeanne Loviton dite Jean Voilier à qui se poème est dédié...
Pour la nuit…
Zao Wou-Ki sans titre 1987 huile sur toile 280 x 460
Ecole normale supérieure, Lyon
“Oh ! quelle chair d’odeur fine aromatisée
Où de l’huile blonde a mis sa molle senteur,
Est plus douce que la Nuit au souffle chanteur,
Et sa brise parmi les roses tamisée ?
Quel féminin baiser plus léger que le sien
Et ses yeux, ses yeux d’or immortels, quelle Femme
Peut égaler ses regards noirs avec leur flamme
Et quelle Voix vaudrait ce vent musicien?…
Adieu donc ! toi qui m’attendais ! L’heure est trop bonne !
A l’amour immatériel je m’abandonne
Que me promet ce Soir calme et ce bord de l’eau.
Car, j’aime cette grève où mon ombre s’allonge
Et cette Nuit ! Et cette lune au blanc halo
Et puis la murmurante et triste Mer qui songe!…”
PAUL VALÉRY, "Pour la nuit",
La revue indépendante, tome 17, no 48
(Tous les soirs je lis un poème,
hier soir j'ai retrouvé la sérénité avec celui-ci)
Matin…
Que ne puis-je retarder d’être moi, paresser dans l’état universel ?
Pourquoi, ce matin, me choisirais-je ? Qu’est-ce qui m’oblige à reprendre mes biens et mes maux ?
Si je laissais mon nom, mes vérités, mes coutumes et mes chaînes comme rêves de la nuit, comme celui qui veut disparaître et faire peau neuve, abandonne soigneusement au bord de la mer, ses vêtements et ses papiers ?
N’est-ce point à présent la leçon des rêves et l’exhortation du réveil ? Et le matin d’été, le matin, n’est-il le moment et le conseil impérieux de ne point ressembler à soi-même ?
Le sommeil a brouillé le jeu, battu les cartes ; et les songes ont tout mêlé, tout remis en question…
Au réveil il y a un temps de naissance, une naissance de toutes choses avant que quelqu’une n’ait lieu. Il y a une nudité avant que l’on se re-vêtisse.
Paul Valéry, Tel Quel ,Autres Rhumbs
Folio essais
crédit photo ALTphotos.com