Edvard Munch , Nuit étoilée ( détail)
Dans les épaisseurs de la nuit sèche et froide, des milliers d'étoiles se formaient sans trêve et leurs glaçons étincelants, aussitôt détachés, commençaient de glisser insensiblement vers l'horizon.
Jeanine ne pouvait s'arracher à la contemplation de ces feux à la dérive. Elle tournait avec eux et le même cheminement immobile la réunissait peu à peu à son être le plus profond, où le froid et le désir maintenant se combattaient.
Devant elle, les étoiles tombaient, une à une, puis s'éteignaient parmi les pierres du désert, et à chaque fois Jeanine s'ouvrait un peu plus à la nuit. Elle respirait, elle oubliait le froid, le poids des êtres, la vie démente ou figée, la longue angoisse de vivre et de mourir.
Après tant d'années où, fuyant devant la peur, elle avait couru follement sans but, elle s'arrêtait enfin. En même temps, il lui semblait retrouver ses racines, la sève montait à nouveau dans son corps qui ne tremblait plus.
Pressée de tout son ventre contre le parapet, tendue vers le ciel en mouvement, elle attendait seulement que son coeur encore bouleversé s'apaisât à son tour et que le silence se fit en elle.
Albert Camus, in L'exil et le royaume, Folio 78