Future sous ta main, mon bonheur est de devoir naître. J’attends que tu te décides de ce que je dois être. J’attends que tu me donnes forme entre toutes les formes créées, forme de femme unique entre toutes les femmes.
Qu’il est long d’apparaître, mais que j’aime la longueur des apprêts : cette promesse d’évènement, le silence préliminaire, le tissu du silence que font les cigales proches de nos tempes…
(Ce glissement de régates vives sur une Méditerranée compacte.
Moi pareille à ce semblant de mer, grande flaque somnolente par temps d’or,
bruissant à peine sur ses marges d’une vie faible à ses ouïes
Pareille au sommeil de fond de la mer que rayent de longs poissons soyeux effrangés, nocturne enluminée
A l’ombre de palme de ta main – de ta main végétale conjurant, exaltant la chaleur qu’il fait chez moi, en cette mer fossilisée que jonche un souvenir de fougères.)
Que j’aime la longueur des apprêts comme promesse de beauté !
Louée pour la première fois mon bonheur d’être crédule.
-Petite fille que mordait sans l’avouer jamais le tourment de n’être pas digne d’un regard favorable, petite fille honteuse en secret sous son rire, comment aurais-je su que je deviendrais belle, aussi belle que l’assurent tes doigts élogieux ? Et peut-être n’en croirais- je pas ta bouche si bien faîte aux compliments, mais comment douter que les courbes que tu soulignes sont pures ? J’avais si soif que l’on me définisse, que l’on me donne ma forme nécessaire, bien close comme une lèvre dans son contour mélodieux. Il a suffi de tes caresses pour faire cet achèvement, pour que me plaise ce corps réjoui comme une joue d’enfant sous les doigts qui la flattent.
J’ai pris la forme de tes mains ; je ris glorieuse sous leur parure, aucune ne me siéra mieux.
Mon bonheur est d’être vouée encore à d’autres métamorphoses- car je commence à peine, car je n’étais rien jusqu’ici…
Mais quelle angoisse préalable m’impose ta main immobilisée sur mon ventre, m’épiant, puis doucement mouvante, attractive, sous laquelle vire le sang ?
A quelle magie solaire me soumets-tu ? Caresses corrosives , longs pinceaux de lumière m’agaçant, ronces de lumière qui m’éraflent, lumière magnétique consumant le sang sous la peau- le sang flairant la trace du soleil, le sang plus fou qu’un jeune chien, qui ne s’égare que pour revenir plus vif au gîte noir.
Mon cœur monte à mon ventre comme un soleil levant.
Sous tes mains de sourcier, venue de mes ténèbres, j’éclos.
L’amant, Mireille Sorgue, page 54 livre de poche
Lecture d'un chef d'oeuvre sous la couette un soir de février...