Egarements, souvenir d'une rencontre sur cette terre de Tipasa avec la nature, les pierres vestige du passé, le soleil, la mer, et Camus...
Ce n'est pas facile de devenir ce qu'on est, de retrouver sa mesure profonde...
Nous marchons à la rencontre de l'amour et du désir. Nous ne cherchons pas de leçons,
ni l'amère philosophie qu'on demande à la grandeur . Hors du soleil, des baisers et des parfumes sauvages, tout nous parait futile.
C'est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m'accapare tout entier...
J'apprenais à respirer, je m'intégrais et je m'accomplissais...
Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes. Ici les dieux servent de lits ou de repères dans la course des journées. Je décris et je dis:
"Voici qui est rouge,qui est bleu,qui est vert.Ceci est la mer,la montagne,les fleurs."
Ici même , je sais que jamais je ne m'approcherai assez du monde...
Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celles là, et nouer sur ma peau l'étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l'eau, c'est le saisissement, la monte d'une glu froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère – la nage, les bras vernis d'eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles; la course de l'eau sur mon corps,cette possession tumultueuse de l'onde par mes jambes – et l'absence d'horizon...
Je comprends ici ce qu'on appelle gloire: le droit d'aimer sans mesure.
Il n'y qu'un seul amour dans ce monde. Étreindre un corps de femme, c'est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer...
A présent du moins, l'incessante éclosion des vagues sur le sable me parvenait à travers tout un espace ou dansait un pollen doré. Mer, campagne, silence, parfums de cet terre, je m'emplissais d'une vie odorante et je mordais dans le fruit déjà doré du monde, bouleversé de sentir son jus sucré et fort couler le long de mes lèvres.
Non, ce n'etait pas moi qui comptais, ni le monde, mais seulement l'accord et le silence qui de lui à moi faisait l'amour. Amour que je n'avais pas la faiblesse de revendiquer pour moi seul, conscient et orgueilleux de le partager avec toute une race, née du soleil et de la mer, vivante et savoureuse, qui puise sa grandeur dans sa simplicité et debout sur les plages, adresse son sourire complice au sourire éclatant de ses ciels...
extraits de Noces à Tipasa, in Noces Albert Camus
Accompagnement musical Ravel Daphnis et Chloé suite n°2