Samson et Dalila "Rubens"
National Gallery Londres
Un souvenir me revient de ces annes d’enfance que je
croyais blanches : j’avais sept ans.
Je tenais entre mes mains une bible illustre pour enfants, grand format. Je contemplais, fascin, un dessin reprsentant Samson et Dalila.
Ses longs cheveux dors avaient t coups dans son sommeil. Sa force avait roul avec des mches blondes sur le carrelage bleu.
Il tait debout, titubant de sommeil, tte presque rase, demi nu. Dalila le regardait les yeux mi-clos du fond du lit, sa chevelure noire tale sur l’oreiller blanc. Dans un arrire-plan de tentures rouges, des soldats venaient se saisir de celui qui jusqu’ici les effrayait et qu’une nuit de jouissance venait de vider de sa puissance.
Ce qui me troublait n’tait pas dans cette scne mais dans ce qui avait dû la prcder : rien ne pouvait tre plus terrible pour Sanson que de perdre la force qui lui avait permis de triompher des ennemis de son peuple.
Si cela tait arriv, c’tait parce qu’il avait cd l’attraction d’une chose plus persuasive que la peur de la mort.
A sept ans je ne savais pas nommer cette chose.
Je devinais qu’elle avait un lien avec la nudit d’une femme et je rvais des dlices aussi grands, lourds de si graves consquences. Je chassai le souvenir de cette image.
Celui qui s’apprte jouir ne veut pas penser et quand bien mme le voudrait’il, il en est incapable : ses paupires sont calcines par le soleil qui devant lui s’lve.
Il est en train de devenir aveugle.
Extrait de" Louise Amour" de Christian Bobin
Cette histoire en fragments qu'on ne retrouvera jamais que dans nos rves aprs bien des annes, loin de l'enfance merveille qui refusait l'horreur.