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Quand on partait de bon matin, à bicyclette…
Je me souviens du chatouillis dans les narines, de l’éternuement provoqué par l’éparpillement des pistils, et cette couleur jaune au ras de mes pupilles louchant.
Je l’avais encore dans les jambes, ce preux destrier, j’entendais sa roue avant,
celle qui faisait " tchac-tchac " à chaque révolution, s’épuiser doucement, l’herbe
virait au bleu, le front emmêlé dans un champ de soleils.
Je m’étonnais de leur manque de chaleur, je pédalais encore mais avec une
légèreté infinie, poussant du front les astres, avec juste ce bruit familier m’accompagnant dans le vide sidéral lorsque j’entendis un bruissement à mon oreille gauche, bruissement qui enfla, éclata, tonitrua, zébra mon tympan et cassa l’azur.
Je reconnus Jeannot, mon pote, penché sur moi qui murmurait, l’œil en guimauve, étonnamment tendre :
ça va ?
C’est cette douceur dans le ton de sa voix essoufflée, de ces douceurs souples qui vous frôlent et vous enveloppent sans vous étouffer, de ces douceurs glissées comme un drap d’été sur le corps pour protéger la pudeur, c’est cette douceur inhabituelle qui m’inquiéta.
Délaçant à regret ma joue de la Grande Ourse, mais gardant un firmament à triturer entre les dents, j’amorçais subtilement l’atterrissage, le nez dans les pissenlits.
Pensées pour le Népal et ses habitants...
photos Eveline Gaillet
Le ciel se recolore...
On dirait que le paysage est tout éclaboussé de croyance.
On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile ou une corbeille d'osier. Disposer le ciel en bouquets, égrener ses parfums, tenir quelques heures la beauté contre soi et se réconcilier.
On voudrait, on regarde, on sait qu'on ne peut en faire plus et qu'il suffit de rester là, debout dans la lumière dépourvus de gestes et de mots, avec ce désir d'amour un peu bête dont le paysage n'a que faire, mais dont on croit savoir qu'il ne s'enfièvre pas pour rien, puisque l'amour est présicément notre tâche, notre devoir, quand bien même serait-il aussi frêle que ces gouttes d'eau d'après l'averse tombant dans l'herbe du jardin.
Jean- Pierre Maulpoix, in "Une histoire de bleu"
Poésie/ Gallimard
crédit photo :Chris Golson
...Quand j'arrivai pour la première fois à Lisbonne, on pouvait entendre, à l'étage au-dessus de celui où nous habitions, le son d'un piano où l'on faisait des gammes, monotone apprentissage d'une petite fille que je n'ai jamais vue. Je découvre aujourd'hui que, par suite de processus d'infiltration dont j'ignore tout, vivent encore dans les caves de mon âme, bien audibles si l'on ouvre la porte du bas, les gammes incessantes, égrenées sans fin, de l'enfant changée en femme aujourd'hui, ou bien morte et enfermée dans un endroit tout blanc, où les cyprès verdoyants mettent une flamme noire.
J'étais enfant alors, et ne le suis plus aujourd'hui; le son, malgré tout, est semblable dans mon souvenir à ce qu'il était en réalité, et possède, immuablement présent, lorsqu'il surgit du lieu où il feint dormir, le même son lentement égrené, la même monotonie rythmée. Je me sens envahi, à le considérer ou à l'éprouver ainsi, par une tristesse vague, angoissée, mienne...
Fernando Pessoa in, "Le livre de l'Intranquilité"
Photo: silhouette de Pessoa photographiée de la fenêtre de l'une de ses maisons
rue Largo do Carmo à Lisbonne.
"C'est bien le coeur qui nous tient debout, mais pas parce qu'il bat,
simplement parce qu'il aime".
Alice Ferney, "Dans la guerre"
Giacometti,
Fondation Beyeler Bâle/Riehnen
Photo Adrian Lienhard