Je me souviens du moins d’une grande fille magnifique qui avait dansé tout l’après-midi.
Elle portait un collier de jasmin sur sa robe bleue collante, que la sueur mouillait depuis les reins jusqu’aux jambes. Elle riait en dansant et renversait la tête. Quand elle passait près des tables,
elle laissait près d’elle une odeur mêlée de fleurs et de chair.
Le soir venu, je ne voyais plus son corps collé contre son danseur, mais sur le ciel tournaient les taches alternées du jasmin blanc et des cheveux noirs, et quand elle rejetait en arrière sa gorge gonflée, j’entendais son rire et voyais le profil de son danseur se pencher soudain.
L’idée que je me fais de l’innocence, c’est à des soirs semblables que je la dois.
Et ces êtres chargés de violence, j’apprends à ne plus les séparer du ciel où leurs désirs tournoient.
Albert CAMUS,
Noces, L’Eté à Alger
crédit photo Craig Fordham